Dieter Hallervorden : L’humour comme provocation
Dieter Hallervorden, véritable monument de la comédie et du théâtre allemand, s’est exprimé à plusieurs reprises ces dernières années sur un sujet controversé : la correction politique et la question du langage inclusif (« gendern »). Cet artiste de 87 ans, qui a diverti des générations entières avec un mélange subtil d’humour et de gravité, s’est particulièrement insurgé contre ce qu’il perçoit comme une ingérence artificielle dans la langue allemande. Il a notamment déclaré que le langage inclusif représentait à ses yeux un « viol de la langue allemande » et qu’il considérait la correction politique comme exagérée.
Hallervorden a souligné à plusieurs reprises que la satire et l’humour avaient le droit d’explorer les limites et de défier les normes sociales. À ses yeux, la société « woke » conduit à une situation où l’on ne peut plus dire ce que l’on pense sans s’exposer à la censure et à l’accusation d’inconvenance. Cette posture a suscité des réactions publiques parfois virulentes : certains le soutiennent, tandis que d’autres considèrent ses propos comme choquants et problématiques.
L’acteur, connu pour son humour incisif, ne mâche pas ses mots dans sa critique de la correction politique. Lors d’une récente apparition à la gala de l’ARD, il a de nouveau provoqué un tollé en ressortant d’anciens jeux de mots, incluant des termes comme « Negerkuss » ou « Zigeunerschnitzel », ravivant ainsi le débat sur l’usage du langage dans la société contemporaine.
Hallervorden se pose en défenseur de la liberté d’expression et affirme que l’humour ne devrait pas être façonné par des idéologies politiques ou par l’indignation sociale. Pourtant, cette position est de plus en plus perçue comme problématique, beaucoup estimant que nombre de ses plaisanteries sont déplacées, voire racistes.
Malgré tout, Hallervorden demeure un symbole de la liberté de parole – même si, de nos jours, cette liberté est sans cesse remise en question.
À une époque où la correction politique et les sensibilités sociales façonnent de plus en plus le quotidien, l’humour – qui fut pendant des siècles une arme rebelle contre les puissants – a pris un tournant étrange. Ce qui était autrefois célébré comme un élément subversif et libérateur de la communication est devenu aujourd’hui un terrain où les règles ne sont pas seulement strictes, mais aussi de plus en plus opaques. L’humour, qui il y a quelques décennies encore était perçu comme un divertissement anodin, est désormais considéré comme dangereux – une attaque contre les valeurs, une menace pour le consensus social, jugé « inapproprié » voire « indécent ».
Le « sérieux mortel » désigne ici le malaise ressenti par la société lorsque quelque chose, qui devrait être compris comme humoristique, devient soudain un instrument de critique perçu comme dangereux. C’est la grande paradoxalité de notre époque : l’humour, qui dans le passé était perçu comme libérateur et guérisseur, est aujourd’hui regardé comme une entreprise de destruction. Mais pourquoi ? Pourquoi l’humour a-t-il perdu son innocence ?
L’humour comme outil politique
Pour comprendre cette question, il faut observer de plus près l’évolution du paysage politique et le rôle qu’y joue l’humour. Alors que, au XXᵉ siècle, l’humour était souvent vu comme un moyen de résistance face aux autorités politiques et aux normes sociales, il a pris, dans l’ère moderne et postmoderne, une autre fonction. Il n’est plus seulement un outil de résistance, mais aussi un instrument de consensus. Parfois, l’humour est utilisé comme un « instrument de gouvernance » pour influencer le discours public – mais il reste aussi souvent cette lame acérée qui révèle les contradictions sociales et politiques.
À l’ère de la « cancel culture » et des condamnations rapides de comportements ou de propos, l’humour a acquis une teinte dangereuse. Ce qui hier encore était perçu comme une plaisanterie peut aujourd’hui être jugé offensant, voire menaçant. Les blagues qui, issues de l’histoire ou des normes sociales, questionnent les institutions, conservent certes leur fonction satirique. Mais elles sont moins acceptées, car elles peuvent être ressenties comme une menace à la paix sociale.
La perte de liberté humoristique
D’une certaine manière, l’humour a perdu dans la société actuelle le degré de liberté dont il jouissait autrefois. Une « blague », dans le passé, pouvait être un moment d’évasion ou un moyen de contourner des sujets inconfortables. Aujourd’hui, l’humour est devenu une plateforme où les gens ne se contentent pas de rire : ils jugent aussi des positions morales et politiques qui s’y expriment. Surtout à l’ère numérique, ce n’est plus seulement une plaisanterie que l’on entend – c’est aussi la réponse de la société à la question de savoir si cet humour est légitime ou dangereux.
L’humour, né autrefois du besoin de lutter contre l’autorité et les normes, est désormais examiné par une autre forme d’autorité – celle de la « correction politique ». La question se pose : l’humour, qui avait autrefois le pouvoir de défier le monde, est-il aujourd’hui étouffé dans sa fonction par une société qui recherche le consensus à tout prix ? Ce que la société considérait autrefois comme une blague salutaire est aujourd’hui perçu comme une incitation au désordre.
L’humour comme résistance
Et pourtant, l’humour reste l’un des outils les plus puissants à notre disposition. Il sera toujours le fondement sur lequel reposent la liberté et la société dans son ensemble. Lorsque l’humour meurt, c’est une part de la liberté qui meurt – non seulement dans sa fonction de phénomène culturel, mais comme expression de la rébellion humaine profonde contre l’injustice, contre les normes et contre les institutions qui cherchent à nous restreindre.
En ce sens, l’humour peut être considéré comme l’une des dernières formes de résistance contre la correction politique et le « sérieux mortel ». Une plaisanterie, qui dans son acuité et sa franchise exerce une véritable critique, peut être le seul moyen de faire place à la vérité dans un monde où l’ouverture à la critique et à la moquerie est de plus en plus limitée.
Les réactions en Allemagne et en France
En Allemagne, la question se pose de savoir si l’humour est encore autorisé à l’ère de la correction politique. Le cabarettiste Marius Jung souligne que, pour lui, la correction politique signifie avant tout le respect. Il critique cependant le fait que le débat autour des termes employés semble souvent plus important que le contenu même. Jung met en garde contre le risque qu’interdire certains mots empêche d’aborder les problèmes de manière ouverte. Cette posture est perçue comme une restriction de la liberté d’expression, car l’humour est de plus en plus considéré comme dangereux. L’humour, autrefois arme contre l’autoritarisme, est aujourd’hui vu comme une menace pour la paix sociale.
En France, en revanche, l’humour est perçu comme indispensable à la démocratie. Des humoristes comme Mahaut Drama soulignent que l’humour permet de désacraliser le pouvoir et de pointer les contradictions de la société. Pourtant, même en France, on voit de plus en plus le danger que l’humour soit récupéré comme élément subversif par des mouvements politiques. La question reste de savoir comment l’humour peut continuer, dans un monde de plus en plus polarisé, à exister comme outil de critique sociale, sans porter le poids des agendas politiques.
Le défi pour l’humour dans le monde moderne n’est pas de prouver sa pertinence, mais de défendre sa liberté. Car l’humour est, comme toute autre forme d’expression, par nature un acte dangereux – un acte de vérité qui, s’il n’est pas soigneusement contrôlé, peut remettre en question les ordres sociaux établis. Mais c’est peut-être précisément la raison pour laquelle l’humour reste si important : parce qu’il ose dire l’inconfortable et nous rappelle que le rire, face à la vérité, est l’une des dernières formes de liberté qui nous reste.
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