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„La guerre dans les esprits
Anatomie d’une décomposition“
Prêts pour la guerre au lieu d’être critiques – comment nous perdons la paix avant que la guerre ne commence.
Tandis que chars et slogans avancent, les médias se taisent, la résistance s’évapore et la pensée devient la dernière forme de défense. Un essai sur la brutalisation du langage, la trahison morale et la lente décomposition d’une société qui croyait autrefois en la paix.
Alors que l’Europe parle de « préparation à la guerre » avec une légèreté inquiétante, ce texte propose une réflexion sur l’érosion silencieuse de notre culture démocratique.
Quand le langage change, c’est la pensée qui vacille.
Et quand la pensée vacille, la guerre n’est plus une éventualité – elle devient une conséquence.
Ce n’est pas une fatalité, mais un choix. Un choix auquel il est encore possible de résister.
„Le gouvernement veut-il encore ce que veut la population – ou veut-il quelque chose de la population ?“
L
a guerre ne commence pas avec le premier coup de feu. Elle commence bien avant que les premières armes ne soient déplacées, dans l’esprit des hommes, dans les concepts qu’ils pensent, dans les mots qu’ils répètent sans les examiner. Ce qui résonne aujourd’hui dans les débats sur « l’aptitude à la guerre » et « l’état de guerre » n’est pas simplement un glissement rhétorique, mais un changement silencieux et radical de la conscience politique. Là où l’on parlait autrefois de défense, de nécessité de repousser une agression, on cultive désormais une disposition à entrer activement dans des actions de guerre. Le langage s’éloigne de la défense pour se rapprocher de l’offensive. Celui qui change les mots change la réalité : ce qui devient pensable et possible en politique devient, tôt ou tard, inévitable. Et tandis que cette nouvelle réalité est en train d’être préparée, la protestation se tait. L’adaptation est plus profonde que toute mesure politique : elle pénètre jusque dans les structures mêmes du langage et de la pensée.
Parallèlement, une transformation silencieuse s’opère dans la structure économique de la société — souvent célébrée comme une « modernisation nécessaire », alors qu’elle constitue en réalité une perte historique.
L’industrie allemande, autrefois admirée pour son génie d’ingénierie, est étranglée par une politique environnementale qui entrave l’innovation au lieu de la stimuler, par une bureaucratie qui étouffe l’initiative, et par une politique énergétique qui coûte plus qu’elle ne produit.
L’industrie automobile, pilier des exportations allemandes, est démantelée – non pas au profit d’une industrie plus durable, mais pour faire place à la renaissance de l’industrie de l’armement.
Des entreprises qui symbolisaient hier la mobilité civile, comme Porsche, se reconvertissent. Ce qui promettait vitesse et liberté hier, produira demain drones et chars d’assaut.
La restructuration économique n’obéit pas à une vision écologique, mais à une logique géopolitique : produire pour la guerre, non pour la vie.
Et tandis que les anciennes industries s’effondrent, un nouveau marché émerge discrètement – à peine questionné, puisqu’étiqueté « défense ».
Défense contre qui, pour quoi, à quel prix ?
Peu de voix s’élèvent pour poser la question.
Les médias, dans ce scénario, n’assument plus un rôle d’observateurs critiques.
Ils ne sont plus les chroniqueurs des événements, mais leurs amplificateurs.
La critique n’est pas analysée, mais pathologisée.
Les opinions divergentes ne sont pas examinées, mais étiquetées.
Ceux qui posent des questions sont accusés de mettre en danger l’unité nationale.
Au lieu de rendre visibles les complexités, la réalité est simplifiée.
Au lieu de tolérer les ambivalences, des lignes de front claires sont tracées.
Au lieu d’éduquer les lecteurs à la maturité critique, on les réduit à des consommateurs d’un dogme moral.
Les médias, qui étaient autrefois fiers de critiquer le pouvoir, se réjouissent aujourd’hui de le confirmer, tant qu’il prétend incarner la bonne cause.
L’espace du débat ne se rétrécit pas par des lois, mais par l’obéissance volontaire au récit dominant.
Le mouvement pacifiste, qui fut autrefois une force sociale, n’existe plus aujourd’hui qu’à l’état de souvenir nostalgique.
Dans les années 1980, des centaines de milliers de personnes descendaient dans la rue contre l’escalade nucléaire.
Aujourd’hui, ces voix manquent.
Non pas parce que la guerre serait moins menaçante, mais parce que le courage d’être en désaccord s’est évanoui.
La capacité d’autrefois à critiquer ses propres alliés et à remettre en question sa propre morale a été remplacée par un réflexe d’alignement sur des camps.
Aujourd’hui, celui qui cherche la paix est perçu comme un obstacle au progrès.
Le souffle long de la conscience a cédé la place au souffle court de la mission morale.
Et ainsi, au milieu du plus grand réarmement depuis des décennies, manque la voix discrète mais nécessaire qui rappelle :
la paix n’est pas l’absence de guerre, mais l’acte conscient de s’y opposer.
L’aptitude à la guerre n’est pas seulement un état de préparation militaire.
C’est un état d’esprit.
Une société qui se définit comme « apte à la guerre » ne se définit plus par son épanouissement culturel, sa justice sociale ou sa curiosité scientifique.
Elle se définit par sa capacité à recourir à la violence.
Elle accepte l’état d’exception comme normalité.
Elle tolère la restriction des libertés au nom de la sécurité.
Elle n’éduque plus ses enfants à la responsabilité, mais à la disponibilité pour le combat.
L’aptitude à la guerre signifie l’abandon des vertus civiles au profit des vertus militaires :
l’obéissance au lieu de la critique, la force au lieu de la raison, la victoire au lieu de la compréhension.
Où mène ce chemin n’est pas une question ouverte.
Il conduit à une société qui perd sa liberté intérieure tout en essayant d’affirmer sa force extérieure.
Il conduit à une Europe qui abandonne son identité de puissance pacifique pour se perdre dans des jeux de pouvoir géopolitiques qu’elle ne peut pas gagner.
Il conduit à une politique qui cesse de résoudre les problèmes sociaux parce qu’elle s’épuise dans des problèmes militaires.
Il conduit à une désintégration de la culture démocratique, car l’aptitude à la guerre et l’ouverture démocratique sont, en fin de compte, incompatibles.
Une société qui se prépare mentalement à la guerre devra tôt ou tard devenir structurellement autoritaire pour maintenir sa propre dureté.
Ce qui reste, c’est la pensée. Le souvenir. L’insistance silencieuse et obstinée sur une autre possibilité.
Ce qui reste, c’est la fidélité à des principes qui ne sont pas populaires, mais nécessaires.
Ce qui reste, c’est la certitude que la véritable résistance ne se manifeste ni dans les gros titres, ni dans les slogans, ni dans l’indignation, mais dans la persévérance des indomptables.
Que la paix ne naît pas dans les paroles des puissants, mais dans le doute de ceux qui refusent de se laisser corrompre – ni par la peur, ni par la morale, ni par l’opportunisme.
Ce qui reste, c’est la connaissance que penser est déjà une forme de résistance.
Et qu’une société qui perd la capacité de penser a déjà perdu la guerre, avant même que le premier coup de feu n’ait été tiré.
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