Les gauches conservatrices
Une génération oubliée
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Ils étaient de gauche – et le sont encore, d’une certaine façon.
À propos de principes qui ne correspondent pas à l’esprit du temps – et qui, pour cette raison même, sont précieux.
Ils fumaient des Gauloises sans filtre, discutaient avec sérieux de Marcuse et habitaient dans des appartements anciens qui sentaient la cire et la bibliothèque. Les anciens gauchistes – ceux issus de l’École de Francfort, du marxisme sans stalinisme, d’une époque où la critique n’était pas une posture, mais un devoir. Aujourd’hui, ils ressemblent à des reliques. Leur langage est trop austère, leur idéalisme trop exigeant, leur fidélité aux principes difficilement transmissible. Pourtant, en y regardant de plus près, on décèle dans leur pensée une radicalité silencieuse – et dans leur attachement à l’éducation, à l’antimilitarisme et aux droits civiques, une force qui fait défaut à l’air du temps.
C’est une génération oubliée, non parce qu’elle était trop discrète, mais parce qu’elle ne s’est jamais vendue. Elle ne cherchait pas à plaire. Et encore moins à être appréciée. Elle était de gauche, mais sceptique. Anticapitaliste, mais pas naïve. Pacifiste, mais pas sans défense. Leurs héros étaient Rosa Luxemburg, Rudi Dutschke, Noam Chomsky. Leurs adversaires : l’indifférence, la consommation, le dogme – quelle que soit son origine.
Mais aujourd’hui ? Les concepts sont déformés, les camps déplacés. Ceux qui se disent de gauche parlent de morale plutôt que de pouvoir. Et ceux qui sont conservateurs parlent soudainement de paix. Les gauchistes conservateurs – les authentiques – se retrouvent entre deux fronts. Ils ne rentrent pas dans les cases. C’est pourquoi ils sont précieux. Et c’est pourquoi nous avons plus que jamais besoin d’eux.
Les principes
Ils croyaient en l’éducation – non comme un tremplin de carrière, mais comme une libération. Les livres n’étaient pas pour eux une décoration, mais des armes. Ils lisaient Benjamin et Brecht, Hegel et Sartre, non pour pouvoir en parler, mais pour comprendre. Et ils croyaient que la connaissance oblige. Que penser est une forme d’action.
Leur pacifisme n’était pas une mode. Il était éprouvé, réfléchi, arraché. Il venait de l’expérience de la génération de leurs parents, de l’écho de deux guerres mondiales, d’Hiroshima et du Vietnam. La violence, disaient-ils, n’est jamais neutre – et jamais seulement un moyen. C’est pourquoi ils se méfiaient des militaires – même lorsqu’ils venaient de l’Ouest. Ils ne brandissaient pas de drapeau, ne jetaient pas de pierres, mais ils savaient : une société qui vénère les armes trahit tôt ou tard aussi la parole.
Et ils étaient anticapitalistes. Non par envie, mais par principe. Ils voyaient comment les marchés façonnaient les hommes – et non l’inverse. Ils connaissaient les abysses de l’aliénation, bien avant qu’on parle de « burnout ». Et ils savaient qu’un système qui mesure tout finit par évaluer aussi l’homme. Ils ne voulaient pas d’égalité par la contrainte, mais pas non plus de liberté sans justice. Ils croyaient en la solidarité – non comme un slogan, mais comme une attitude.
La rupture avec la nouvelle gauche
Ce ne fut pas une rupture soudaine, mais une dérive progressive. Un éloignement de la langue, des objectifs et du ton. La nouvelle gauche s’est mise à parler autrement : là où autrefois il était question de propriété et d’exploitation, il s’agissait désormais de la langue elle-même – de termes, de pronoms, de domination interprétative. Les anciens thèmes restaient en arrière-plan, tels des tracts oubliés dans des serviettes grises.
Le nouvel adversaire n’était plus le système, mais la phrase. Plus le capital, mais l’attitude. Ceux qui ne suivaient pas étaient considérés comme rétrogrades. Ceux qui demandaient des nuances, comme dangereux. Le souffle long de l’analytique cédait la place à l’impulsion rapide du moral. Et ce qui autrefois était considéré comme un débat interne à la gauche était désormais puni comme une déviation.
Pour les anciens gauchistes, c’était difficile à supporter. Non pas parce qu’ils étaient contre le changement – au contraire. Mais parce qu’ils sentaient que la nouvelle gauche cessait d’être inconfortable. Qu’elle s’accommodait du pouvoir, tant qu’elle établissait elle-même les règles. Qu’elle préférait distribuer des blâmes plutôt qu’analyser le pouvoir. Et qu’elle oubliait en cela : la critique n’est pas un censeur. La critique est un outil – y compris contre soi-même.
Entre tous les camps
Ils sont restés – comme les dernières pierres après un éboulement. Non parce qu’ils se seraient retirés, mais parce que le sol sous leurs pieds a été enlevé. Ils ne siègent pas dans les talk-shows. Ils n’apparaissent pas dans les éditoriaux. Lors des manifestations, ils se sentent étrangers. Trop à gauche pour les droites, trop inconfortables pour les gauches. Et ce, bien que leurs valeurs aient autrefois formé la colonne vertébrale d’une culture politique entière.
Dans la nouvelle droite, ils voient du cynisme, de la froideur, l’abus de la tradition. Dans la nouvelle gauche, ils voient de l’irritabilité, du dogme, l’abus de la morale. Et au centre ? De l’opportunisme. Le réflexe de vouloir s’adapter – aux mots, aux vagues, aux marchés. Ce qui leur reste, c’est le silence. Ou les quelques lignes d’une lettre de lecteur. Ou la dernière fidélité à eux-mêmes.
Beaucoup d’entre eux vivent aujourd’hui dans de petites villes, donnent des séminaires, lisent toujours Habermas. Ils ne croient plus aux partis, mais aux concepts. Ils ne mènent plus de combats – mais ils reconnaissent chaque trahison. Ils ont cessé d’espérer. Mais pas de penser. Et c’est précisément là que réside leur force.
Pourquoi nous avons besoin d’eux
Peut-être que leur importance réside précisément dans le fait qu’ils ne correspondent plus à l’image. Parce qu’ils ne se laissent pas aplatir. Pas recycler pour des campagnes, pas commercialiser pour de l’audience. Ils sont trop lents pour le fil d’actualité, trop nuancés pour les gros titres, trop contradictoires pour la pensée en camps. Mais ils nous rappellent quelque chose : que la politique n’est pas Instagram. Que l’attitude coûte plus que de montrer une attitude. Et que les principes n’ont de valeur que lorsqu’ils deviennent inconfortables.
Les gauchistes conservateurs ne sont pas un contre-programme. Ils ne sont pas une consolation. Ils ne sont pas non plus un modèle pour une époque meilleure. Mais ils sont la preuve silencieuse qu’autrefois c’était possible : une politique de gauche avec dign
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