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La ruine glorieuse
Ce que les mineurs de Creutzwald ont laissé derrière eux
Un dossier von de Marchand
P
arfois, il ne reste que l’écho.
Ni appel, ni chant, seulement la résonance de voix depuis longtemps éteintes. Creutzwald est de ces lieux où le passé ne s’arrête pas, mais persiste – comme un nid de braises sous la terre ensevelie. Ici, à la périphérie française, entre collines vertes et clôtures rouillées, repose le squelette d’une époque.
Non pas comme un monument, mais comme une blessure.
Le site de l’ancienne mine de charbon La Houve, à Creutzwald, est aujourd’hui silencieux. Les chevalements ont disparu, les machines ont été démontées, le vacarme s’est tu. Mais celui qui observe avec attention voit plus que des ruines. Il voit des traces. Des sentiers frappés dans la poussière. Des fenêtres qui n’ouvrent plus sur rien. Des murs encore debout – alors qu’ils auraient dû tomber depuis longtemps. Ce silence n’est pas une paix. C’est l’hésitation de l’Histoire à s’oublier elle-même.
La mine fut l’une des dernières encore en activité en France. Elle a fermé en 2004 – « avec dignité », disait-on. Avec des rituels, des discours, des larmes. Mais ensuite ? Les hommes sont rentrés chez eux. Les lampes ont été éteintes. La région est restée – non pas en deuil, mais dans une sorte de flottement étrange.
Une partie savait qu’un monde venait de s’éteindre.
Une autre devinait que cela n’intéresserait plus personne.
Creutzwald est une loupe sur le destin de la culture ouvrière dans la province française. Le site n’a pas été totalement détruit, mais il n’a pas été réellement sauvegardé non plus. Il y a un rond-point qui porte le nom de la mine. Il y a des panneaux qui pointent dans le vide. Une mémoire sans adresse.
L’héritage est là, à découvert – mais personne ne le ramasse. Et c’est précisément ce qui le rend si précieux.
La ruine glorieuse – ce n’est pas une expression romantique. C’est ce qui reste lorsqu’on ne peut pas arracher la dignité. Lorsque le béton et l’acier refusent d’abandonner leur histoire. À Creutzwald, chaque poutre rouillée raconte plus qu’un manuel d’histoire.
Non pas parce qu’elle sait beaucoup – mais parce qu’elle est restée.
Oubliée, mais debout.
Que dit cela de la France ? Peut-être ceci : que la République a de grands mots pour ses victoires, mais aucun langage pour ce qu’elle perd. Que les héros du fond n’ont jamais vraiment appartenu à la nation – seulement à son approvisionnement. Et que la mémoire, lorsqu’on ne s’en occupe pas, ne disparaît pas : elle s’enfonce, elle s’ensauvage.
Et c’est peut-être là la force de ce lieu. Creutzwald ne crie pas. Il ne se plaint pas. Il attend.
Et parfois, dans la lumière du soir, lorsque le soleil rase les anciens portails de l’usine, il semble presque que le site respire.
Non pas avec nostalgie – mais avec une soif de justice.
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