Un essai d’Étienne Valbreton
Donald J. Trump est, en 2025, redevenu président des États-Unis. Après les mensonges, les procès, les émeutes, les attaques sans précédent contre les institutions démocratiques, il a été réélu. Ou plutôt : il n’a pas été arrêté. Ni par le système. Ni par ses opposants. Ni par un monde qui s’est habitué à ce que l’absurde gouverne, tant qu’il fait de l’audience.
Cette présidence signale l’entrée de la démocratie dans une phase d’inscénarisation postdémocratique. Ce n’est plus ce qui est dit qui compte, mais la façon dont cela sonne. Non plus ce qui advient, mais comment cela se vend.
Trump n’est pas une anomalie. Il est la pointe visible d’un système qui a appris à vivre avec le dérèglement – voire à s’en nourrir. Tandis qu’il joue des micros, lance des tweets comme des grenades et met en scène sa réélection comme une vengeance monumentale, l’appareil d’État, lui, tourne à plein régime.
Ses partisans le célèbrent comme le fossoyeur du « deep state ». Mais que fait-il, en réalité ? Il bloque les programmes de genre, coupe les budgets, orchestre une guerre culturelle – pendant ce temps, c’est justement cet État profond qu’il dénonce qui se consolide. Non sous forme de complot invisible, mais par l’érosion explicite des droits, des procédures, de la sûreté juridique. Les institutions se politisent, la justice est intimidée, l’appareil dÉtat reconfiguré selon des logiques de fidélité. Ce qui se construit ici, ce n’est pas une libération – c’est la perfection froide d’un modèle autoritaire, sous les acclamations de ceux qui croient voir une révolution.
En avril 2025, les États-Unis et l’Ukraine signent un accord d’exploitation des ressources, offrant aux entreprises américaines un accès privilégié à l’aluminium, au graphite, au titane et au gaz. Dans le même temps, les livraisons d’armes à Israël s’intensifient. Trump déclare que le Groenland est un territoire stratégique des États-Unis, qui devra, si besoin, être « protégé » militairement. Il propose de transformer Gaza en une « Riviera du Proche-Orient » – avec des terrains de golf, des marinas, des hôtels verticaux. Des millions d’habitants devraient être déplacés. Ce n’est pas un lapsus. C’est un projet.
Dans le même temps, les entreprises américaines obtiennent de nouveaux droits de forage offshore dans le golfe du Mexique. Au Panama, des accords bilatéraux élargissent discrètement les zones d’influence. Et tandis que l’étranger est redessiné à coups de traités, l’intérieur est purgé : dizaines de milliers d’expulsions, familles intégrées, jeunes sans papiers. La Maison-Blanche parle d' »assainissement ». L’administration reste muette.
Des réformes électorales massives restreignent systématiquement l’accès au vote. Minorités, jeunes, précaires – écartés. Les circonscriptions sont redessinées, les contrôleurs licenciés, les objections qualifiées de « sabotage ». Les infractions ? Non corrigées. Les faits ? Remplacés par les personnes.
L’Europe voit. L’Europe sait. Et elle sourit. On montre des extraits dans les talk-shows, on commente les dérapages de Trump avec une distance ironique. Dans les couloirs ministériels résonne un rire étouffé, celui de l’impuissance. On sent que quelque chose déraille. Mais on dit : « Soyons réalistes. »
Ce n’est pas une nouveauté, qu’un empire se permette des souverains grotesques. Néron jouait de la lyre pendant que Rome brûlait. Caligula nommait son cheval consul. La République romaine ne s’est pas effondrée sous les assauts extérieurs, mais sous l’usure de ses propres principes. Là aussi, des hommes cultivés ont suivi un tyran fantasque. Non parce qu’ils ignoraient. Mais parce qu’ils avaient trop à perdre. Et peut-être aussi, parce qu’ils admiraient en secret ce qu’ils condamnaient.
Trump est la farce après la tragédie. Un César sans latin mais avec un compte Twitter. Non pas un tyran classique, mais un produit médiatique devenu pouvoir. Il ne gouverne pas par idée, mais par impact. Pas par principe, mais par appartenance.
Mais la question est-elle encore : qui gouverne ? Ou plutôt : qu’est-ce qui se met en place derrière lui ? Un nouvel Amérique, technocratique, extractiviste, verrouillée par la force, qui n’a gardé de la démocratie que l’étiquette ?
Et que fait l’Europe ? Va-t-elle suivre, imiter, par réflexe de compétition désespérée ? Ou reste-t-il en elle un reste de mémoire, une capacité à penser autrement ? L’UE se présente comme un espace des droits de l’homme. Mais que vaut cela, si elle continue d’avancer, les yeux mi-clos, pendant qu’en face se bâtit une nouvelle Rome ?
Il est temps pour l’Europe de se souvenir. De Camus, qui disait que la liberté implique la responsabilité. De Simone Weil, pour qui la résistance était une éthique. De Kant, qui défendait l’homme comme fin et non comme moyen. De Rousseau, qui savait que le peuple se perd parfois, mais ne se trompe jamais. D’Arendt, qui voyait dans le banal la forme la plus perverse du mal. De Hegel, qui décelait dans chaque effondrement l’occasion d’une raison nouvelle.
Peut-être que cette ligne argentée de pensée européenne est le dernier contrepoids : la pensée comme devoir, le jugement comme courage, la vérité comme urgence.
Il ne s’agit pas d’un homme. Mais d’un état. D’un monde occidental qui a honte de ses fondations, mais n’ose pas en bâtir de nouvelles. Se demander si l’Amérique peut encore se renouveler, c’est poser la véritable question : un empire peut-il se réformer ? Ou faut-il l’effondrement, l’incendie, l’écroulement de la façade pour qu’il se retrouve ?
L’Amérique ne s’éteint pas. Elle s’arme. Ce qui émerge n’est pas un modèle ouvert, mais une salle de contrôle bardée de drapeaux. Pas de négociation, mais des ordres. Pas de droit, mais du pouvoir. Les soi-disant traités avec l’Ukraine, le Panama ou d’autres ne sont pas des alliances – ce sont des contrats forcés. Des traités de soumission, à la manière du Far West : sous pression, sous menace, dans la logique des vainqueurs, pas des partenaires.
Trump ne parle pas de coopération. Il parle d’appropriation. Le Groenland comme base, Gaza comme zone de loisirs américaine, le Mexique comme sas d’expulsions, le Canada comme glacis, Panama comme corridor. Qui parle encore de diplomatie se méprend : il ne s’agit pas de dialogue, mais d’expansion.
Si Poutine tenait de tels propos, on parlerait de guerre mondiale. Trump les tient – et le monde ricane, les yeux vissés sur ses écrans.
Alors que faire ? Il ne reste pas le réconfort, ni la fuite. Il reste la posture. Soit on s’interpose, soit on se laisse absorber. Le silence ne protège pas. Il consent, au rythme froid des machines.
La deuxième présidence Trump n’est pas un accident. Elle est le produit du renoncement collectif, de la lâcheté politique, d’une médiatisation sans éthique. Tant que la folie coiffée de rouge tient la scène, trop applaudissent. Non par ignorance. Mais par espoir que quelqu’un d’autre agira.
La question n’est plus : qui ? Mais : quand comprendrons-nous qu’il ne faut pas un seul, mais des milliers, qui n’attendent plus. Pas un héros. Pas un messie. Pas un homme fort. Mais un réseau. De consciences, de lucidités, de refus.
Pas une vision. Une action. Pas un salut. Une résolution. Et peut-être est-ce cela, le véritable départ : non parce qu’on l’acclame. Mais parce qu’il est nécessaire.
Albert Camus
Phrase citée : « La liberté signifie la responsabilité. »
Texte original : « La liberté n’est pas d’abord un privilège, mais un devoir. »
Simone Weil
Phrase citée : « La résistance, c’est une éthique. »
Texte original : « La réalité de la vie ne réside pas dans le sentiment, mais dans l’action. »
Hannah Arendt
Phrase citée : « Le mal se logerait dans l’ordinaire. »
Texte original : « La triste vérité, c’est que la plupart des actes mauvais sont commis par des gens qui n’ont jamais décidé s’ils voulaient être bons ou mauvais. »
Immanuel Kant
Phrase citée : « L’homme ne doit jamais être traité comme un simple moyen. »
Texte original : « Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. »
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