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Pourquoi il n’est jamais trop tard pour recommencer
Un chapitre de la vie d’une femme qui reprend sa vie en main
Il existe des histoires que l’on entend rarement – non parce qu’elles manqueraient d’éclat, mais parce qu’elles se déroulent en silence. Des histoires de personnes qui ne recherchent ni applaudissements, ni scène, ni mot-dièse. Des personnes qui, après des années de devoir, de prudence, de renoncements, reviennent à ce qui leur appartenait autrefois – un désir, un talent, une voix.
La série « Recommencements tardifs » rassemble de tels portraits : discrets, mais vrais. Il ne s’agit pas de grands retours, ni de carrières ou de revanche – mais d’un retour à soi.
Le premier texte est signé Anna Becker. Elle y raconte l’histoire d’une femme qui n’a jamais terminé ses études d’histoire de l’art – et qui pourtant les retrouve. Non pas sur un diplôme, mais dans son regard, dans sa pensée, dans ses gestes.
Lesestoff für späte Wege
Anna Hope – Was wir sind
Drei Frauen um die vierzig, ein altes Versprechen: sich nicht selbst zu verlieren.
Ein leiser, kluger Roman über Umwege, Sehnsucht und den Mut, sich neu zu denken.
📘 Hanser Berlin – Was wir sind
Judith Schalansky – Verzeichnis einiger Verluste
Ein literarisches Archiv des Unvollendeten: Leben, Werke, Pläne, die nie vollendet wurden –
und gerade deshalb weiterwirken. Essayistisch, poetisch, subversiv.
📗 Suhrkamp – Verzeichnis einiger Verluste
Un essai d’Anna Becker
E
lle avait étudié l’histoire de l’art, autrefois. Sans diplôme, sans titre, seulement les quatre premiers semestres. Puis la vie s’était interposée – sous la forme d’une grossesse, d’un carton de déménagement, d’un exposé à moitié écrit qu’elle ne présenta jamais. Et même si personne ne l’avait jamais contrainte à arrêter, elle ne continua pas. Pas consciemment. Ce fut plutôt un retrait silencieux, comme une lumière qu’on n’éteint pas, mais qui s’affaiblit lentement, d’elle-même.
Quand je l’ai rencontrée, elle avait la trentaine bien entamée, mère de deux adolescents, active, intelligente, bienveillante – mais animée d’une sorte d’inquiétude que l’on ne pouvait nommer sans vraiment la connaître. Elle parlait rarement d’elle-même. Quand elle le faisait, c’était avec un mélange d’indulgence et de distance, comme si sa propre vie était un texte écrit par quelqu’un d’autre. Parfois, dans des conversations sur la politique, les médias ou l’esthétique, une étincelle surgissait : un regard acéré, une pensée vive, une phrase qui restait. Pas pédante, pas bruyante – juste limpide.
Je lui ai un jour demandé si elle dessinait encore. Elle a secoué la tête. « Depuis des années, non », dit-elle. « Je ne saurais même pas quoi. » Puis elle se tut. Et alors que je croyais la conversation terminée, elle ajouta doucement : « Mais je pense parfois en lignes. » Cette phrase m’est restée. Je ne compris pas immédiatement ce qu’elle voulait dire, mais je pressentis ceci : quelque chose en elle continuait de vibrer, quelque chose qu’elle avait peut-être elle-même oublié. Quelque chose qui n’avait jamais complètement disparu – seulement perdu sa voix.
Quelques années plus tard, ses enfants devenus grands, elle recommença à suivre des cours. Pas de grands projets, pas de reconversion, pas de nouveau départ tonitruant. Juste un fil renoué, en silence. Un séminaire sur la composition visuelle, une visite au Cabinet des estampes, une conférence sur Warburg qui fit resurgir une idée oubliée. Je lui ai demandé si elle comptait reprendre ses études. Elle haussa les épaules. « Peut-être. Peut-être pas. Ce n’est pas ça qui compte. » Puis, après une pause : « Je veux juste savoir à nouveau ce que je vois. »
Ce n’était pas un retour triomphal. Pas une histoire romantique d’une femme qui réalise les rêves de sa jeunesse. C’était une autre manière de raconter. Une manière qui n’avait pas besoin de prouver qu’elle en était encore capable. Elle n’avait pas besoin de scène, ni de but. Elle avait seulement besoin de renouer avec ce qui l’avait un jour émue. Et ce faisant, elle ne devint pas une autre – elle devint davantage elle-même.
Je crois que nous entretenons un drôle de rapport au temps. Nous agissons comme si les décisions devaient être définitives. Comme si c’était une faiblesse de laisser les choses ouvertes. Mais la vie n’est pas un emploi du temps bien rangé. Elle a ses cassures, ses détours, ses blancs – et parfois, il faut précisément cela pour reconnaître ce qui a survécu en nous. Et que c’est à nous de choisir quand quelque chose est mûr pour reprendre son cours.
Elle n’est pas devenue professeure. Elle n’a pas monté d’exposition, ni écrit de livres. Mais elle lit à nouveau, elle griffonne des notes dans les marges, elle visite des musées et regarde autrement. Et cela suffit. Car elle ne s’était pas perdue. Elle avait simplement cessé de se rendre visite.
Le commencement ne fut pas un éclat, mais une page de calendrier sans rendez-vous. Une heure libre, une phrase inattendue, un souvenir de ce qui avait été possible. Et c’est là que tout recommença. Pas depuis le début. Mais à partir de là.
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