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Chapitre II
Les héritiers qui m’ont oubliée

J’ai eu beaucoup d’enfants –
des philosophes et des pêcheurs,
des maçons et des musiciens,
des hérétiques, des mères, des saints.
Je n’ai jamais connu la pureté,
seulement le mélange.
J’étais le continent des passages,
des voix, des langues
qui s’avalaient les unes les autres.
Je n’ai jamais été une forteresse –
j’étais un fleuve.
Vous étiez mes héritiers.
Et je vous ai tout donné.
Je vous ai donné Athènes, où la pensée respirait.
Cordoue, où le savoir brûlait en trois langues.
Sarajevo et Dantzig – des lignes qui se sont rompues et sont devenues mémoire.
Dublin, où le mot domptait la douleur.
Thessalonique, où prière et commerce se serraient la main.
Riga, Marseille – deux rives d’un même désir.
Je vous ai donné Weimar,
et la braise de Verdun.
Je vous ai donné le silence d’Auschwitz –
non comme une plaie,
mais comme un devoir.
Je vous ai donné Lampedusa,
comme dernière question :
Qu’est-ce qu’un être humain ?
Je vous ai donné Dante, Bach, Beckett, Camus.
Je vous ai donné la révolution et le requiem.
Je vous ai donné la faute – et le pardon.
Et qu’avez-vous gardé ?
Vous m’avez triée – en programmes, zones, lignes de financement.
Vous avez coulé ma passion dans des paragraphes,
numérisé ma douleur,
remplacé mon silence par des leçons.
Vos écoles parlent de tolérance,
mais se taisent sur la tragédie.
Votre politique parle de valeurs,
mais ignore le sacrifice.
Vos médias parlent de diversité,
mais fuient la profondeur.
Vous m’avez enterrée dans vos institutions.
Vous avez évidé ma mémoire –
comme on vide une vieille maison,
jusqu’à ce qu’il ne reste que des murs
que plus personne n’habite.
Je suis l’Europe.
Et je voulais être plus qu’une bonne intention.
Je voulais être aimée – pas simplement acceptée.
Vous avez fait de moi votre passé,
alors que je voulais être votre avenir.